Nous croyons que la clé pour un meilleur avenir est de comprendre le point de vue des autres et d’être à l’écoute de ceux-ci. Cette semaine, nous avons demandé à Blair Feltmate, professeur agréé, directeur du programme de pratiques axées sur le développement durable et président du Climate Change Adaptation Project : Canada, Université de Waterloo, de donner son opinion sur les changements climatiques. Nous remercions Blair d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Les points de vue, les opinions et les positions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Suncor.
Deux questions importantes pour le Canada
Un an s’est écoulé depuis les inondations importantes à Calgary et à Toronto – avec le passage du temps et à la lumière d’un second examen objectif, les Canadiens devraient peut-être se questionner sur deux aspects des changements climatiques particulièrement complexes : (1) est-ce que les dépenses engagées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) constituent un choix prudent pour le Canada? Et (2) est-ce que le Canada devrait redoubler d’efforts pour s’adapter et se préparer aux changements climatiques et aux phénomènes météorologiques extrêmes?
Il est important – en fait, il est essentiel pour le mieux-être futur de notre pays – d’obtenir des réponses à ces deux questions et de le faire rapidement. Le Canada n’a pas encore connu d’inondations catastrophiques – même si les inondations à Calgary et à Toronto étaient tout de mêmes importantes, elles ont été de moindre ampleur que celles à venir – les inondations de 2013 étaient en fait un signal d’alarme. Le nouveau repère que le Canada doit adopter dans le cas de la préparation aux inondations, sera beaucoup plus élevé que celles survenues à Calgary – la science, sur ce point, est claire. De plus, les inondations ne sont pas un enjeu propre à Calgary ou à Toronto – n’importe quelle ville pourrait être touchée à tout moment. Donc, à propos de cette réalité plutôt brutale, demandons-nous si les efforts de réduction des émissions de GES sont une bonne solution pour le Canada et à quel degré nous devons allouer plus de ressources en ce sens.
Réduction
Au Canada, jusqu’à présent, les efforts de réduction des émissions de GES ont récolté un certain succès, notamment grâce à des programmes très répandus d’amélioration de l’efficacité énergétique ou à des percées technologiques, par exemple, la décision de l’Ontario de retirer le charbon de ses sources de production d’électricité (en 2014). Par conséquent, en 2011, les émissions du GES du Canada, qui se chiffraient à 702 mégatonnes (Mt – équivalent CO2), se comparent favorablement aux émissions de 2005 à 737 Mt. En dépit de ces premiers succès, les émissions de GES du Canada sont maintenant dans une courbe ascendante et on prévoit qu’elles atteindront 734 Mt d’ici 2020 – même si ce niveau d’émissions totales ne semble pas si élevé, n’eut été des efforts de réduction d’ici 2020, les émissions totales auraient dépassé 800 Mt.
Les émissions de GES du Canada en croissance constante se répercutent à l’échelle planétaire. Par exemple, l’Agence internationale de l’énergie déclare qu’à l’heure actuelle plus de 80 pour cent de l’approvisionnement énergétique mondial se subdivise en un tiers pour chacune des sources d’énergie suivantes : le charbon, le pétrole et le gaz naturel (c.-à-d. combustibles fossiles), d’ici 2030, cette offre énergétique demeurera inchangée, mais l’empreinte carbone mondiale totale augmentera d’environ 20 pour cent par rapport aux niveaux actuels en raison de l’ajout de près de 1,5 milliard de personnes de plus sur la planète au cours des 15 prochaines années.
Donc, même si le Canada réduisait ses émissions de façon significative, comme dans le cadre du déploiement à grande échelle de la production décentralisée d’énergie nucléaire – ce que n’approuveraient jamais la plupart des environnementalistes, dont les efforts ne tiennent pas toujours compte du contexte global (ils préféreraient appuyer un projet d’éolienne au-dessus d’une entrée de centre commercial et le qualifier de réussite) – ce serait tout de même trop peu trop tard pour réduire les charges de GES.
Nous sommes conscients que les changements climatiques sont bien amorcés et nous devons donc orienter notre attention et nos ressources ailleurs que sur la réduction, ce qui exigera une faculté d’adaptation significative.
Adaptation
Jusqu’à présent, au Canada, l’adaptation aux changements climatiques et aux phénomènes météorologiques extrêmes peut être qualifiée de « parent pauvre » par rapport à la réduction – c.-à-d. la majorité des ressources ont été affectées à la réduction plutôt qu’à l’adaptation.
Dans sa forme la plus élémentaire, l’adaptation se concentre sur la réduction des risques dans un système, comme dans une ville, liés aux phénomènes météorologiques extrêmes – et dans le cas du Canada, le principal risque est, de loin, les inondations. Par exemple, au cours des 11 dernières années, neuf années se sont soldées par des réclamations supérieures aux primes versées dans le cas de l’assurance IARD au Canada. Ces réclamations étaient largement attribuables aux dégâts causés par l’eau, principalement l’inondation des sous-sols de résidences. Au Canada, au cours des cinq dernières années les pertes associées à des réclamations pour des sinistres assurables ont dépassé 1 milliard de dollars et la tendance à la hausse se poursuit. Cette situation ne peut durer. C’est ce qui a fait apparaître peu à peu au Canada un marché où les résidences ne peuvent être assurées – c.-à-d. que les assureurs signifient « qu’ils n’offriront plus d’assurance dans la région X en raison du risque trop important ». Par conséquent, un marché de l’assurance déclinant aura une incidence négative sur le marché des prêts hypothécaires, car pour obtenir une hypothèque, vous devez assurer votre maison.
Le secteur de l’assurance, à titre de protagoniste de la phase d’adaptation au Canada, a identifié plusieurs mesures à prendre pour aider le Canada à réduire les risques liés aux précipitations extrêmes : (1) élaborer une cartographie à jour des plaines inondables afin que les Canadiens sachent où il ne faut pas bâtir compte tenu du potentiel d’inondation actuel et à venir; (2) conserver les infrastructures naturelles (p. ex., les milieux humides) et celles conçues pour favoriser la résilience urbaine (p. ex., les canaux de diversion) pour diriger l’eau vers les zones appropriées dans et autour des villes; (3) mettre sur pied un programme de vérification de l’adaptation des résidences afin de fournir des directives aux propriétaires sur la façon de protéger leurs résidences des inondations; et (4) modifier les codes du bâtiment afin de s’assurer que le marché de l’habitation résidentielle et des édifices commerciaux tient compte du concept d’adaptation.
La mobilisation des villes du Canada autour de ces quatre mesures devrait se faire dès maintenant, car chaque journée qui passe sans que l’on s’adapte est une journée de perdue. L’Australie a déterminé que chaque 1 $ investi dans l’adaptation représentait 10 $ (ou plus) de pertes évitées – c’est un excellent retour sur l’investissement, et il n’y a pas de raison de penser que cet avantage intéressant ne pourrait pas s’appliquer également au Canada. Conformément aux efforts déjà entrepris pour réduire les émissions de GES, le Canada doit maintenant s’adapter si nous voulons éviter d’avoir à gérer des situations catastrophiques.
En fait, je crains que le Canada n’oriente pas ses efforts de façon appropriée en matière de changements climatiques – nombreux sont ceux qui refusent de voir le monde tel qu’il est, occultant la réalité et ainsi, involontairement, aggravant une situation déjà difficile.
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